« Il faut sans cesse se battre pour la liberté »

Conférence de rentrée du PLRN, 15 août 2022

Karin Keller-Sutter était l’invitée du PLRN lundi soir. Devant une salle du Cercle National comble, au cours d’un échange voulu informel, la cheffe du Département fédéral de justice et police a répondu aux questions du président cantonal Fabio Bongiovanni, puis à celles de l’assemblée. Après avoir évoqué entre autres la guerre en Ukraine et la notion de liberté, «KKS» a souligné son attachement à Neuchâtel, ville dans laquelle elle a étudié et vécu pendant trois ans et demi. Un attachement que le PLRN a choisi de saluer en nommant Karin Keller-Sutter membre d’honneur, une première dans l’histoire du parti cantonal.

Face à Fabio Bongiovanni et Karin Keller-Sutter, la salle du Cercle National était comble lundi soir. (Photographie: Claude Comte)

« C’est un honneur de lancer cette rentrée politique en présence de notre conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et de vous tous, élus fédéraux, cantonaux et communaux et membres. » Au deuxième étage du Cercle National, à Neuchâtel, c’est devant une salle comble que Fabio Bongiovanni, président du Part libéral-radical neuchâtelois, a ainsi lancé lundi soir l’échange informel auquel le PLRN avait convié la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP).

« La rentrée politique du PLRN, c’est bien sûr cette conférence, mais c’est aussi du concret, des objets parlementaires cantonaux qui seront bientôt déposés. Vous le découvrirez vendredi dans Libertés neuchâteloises, la présidence du parti travaille depuis plusieurs mois maintenant sur des objets fiscaux que nous souhaitons déposer par le biais de notre groupe au Grand Conseil. Ce ne sont pas moins de huit modifications de lois qui seront déposées pour permettre à notre canton de gagner en attractivité en renforçant notamment domiciliation et en redonnant du pouvoir d’achat à nos contribuables », a ensuite annoncé Fabio Bongiovanni avant de se tourner vers son invitée, Karin Keller-Sutter.

[Fabio Bongiovanni] Mme la conseillère fédérale, bienvenue à Neuchâtel ! Merci d’avoir accepté notre invitation, merci de venir rencontrer ce qui fait la force de notre parti, nos membres. Ma toute première question est celle-ci : comment allez-vous ?

[Karin Keller-Sutter] Merci beaucoup cher président. Chers amis libéraux-radicaux, je vous remercie beaucoup de votre invitation, c’est un honneur et un privilège d’être de retour à Neuchâtel, une ville que j’aime tant. C’est un plaisir de revoir des gens que je connais de longue date, avec qui j’ai siégé au National, comme M. Claude Frey qui m’a cédé la présidence de l’Institut suisse de police, ici à Neuchâtel. Je peux dire que je vais très bien !

Rentrons directement dans le vif du sujet : le 24 février dernier, après plusieurs mois d’escalade, la Russie envahissait l’Ukraine, marquant le retour des chars d’assaut dans une ville européenne, l’occupation d’un pays par un autre, événement impensable pour une génération qui n’a connu que des guerres lointaines ou trop anciennes – c’est un peu mon cas. Cette guerre, c’est aussi la destruction de quartiers d’habitations à coups de missiles et de mortier, et des civils qui cherchent à fuir l’horreur. Damien [ndlr : Cottier] serait très bien placé [pour en parler], car il a fait des visites sur place et connaît cette réalité mieux que nous toutes et tous.

Quelques mois plus tard, la Suisse et les Etats européens s’organisent pour accueillir des réfugiés ukrainiens. Après l’urgence des débuts, quel bilan pouvez-vous tirer des collaborations avec nos partenaires européens de l’Espace Schengen en ce qui concerne l’accueil de ces réfugiés ?

Nous sommes heureusement membres de l’espace Schengen, et le peuple suisse l’a confirmé en disant oui [ndlr : le 15 mai dernier, au renforcement] de Frontex [l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes]. Si le peuple avait dit non à Frontex, organisation essentielle à l’espace Schengen, nous aurions dû sortir ce celui-ci. Or, c’est bel et bien grâce à notre appartenance à cet espace que j’ai été impliquée au niveau européen dès le début de la guerre en Ukraine.

Votre président l’a rappelé, le 24 février, la Russie a envahi l’Ukraine. Le 27 février – c’était un dimanche –, j’étais à Bruxelles. La présidence française a tout de suite convoqué les ministres de l’Intérieur et de la Justice [de l’espace Schengen] pour discuter de la situation et c’est un moment que je ne vais probablement jamais oublier.

Normalement, quand on fait une réunion avec les ministres de l’Intérieur, c’est un peu comme une séance de commission : on se connaît, on se dit bonjour, on parle un peu, que fait le collègue grec, comment va sa famille, et comment va l’Autrichien, etc. Là, c’était calme, concentré, focalisé. J’avais l’impression que tout le monde était fortement touché par les événements.

Nous nous sommes vite organisés : l’Union européenne, ce dimanche-là, a informé qu’elle allait probablement activer sa directive sur la protection temporaire. Lors de mon vol de retour, j’ai donné le mandat au Secrétariat d’Etat aux migrations de vérifier tout de suite à quel point le statut de protection S que nous connaissions, mais que nous n’avions jamais appliqué en Suisse, correspondait ou non à cette directive. Le 3 mars, l’Union européenne décidait en effet de l’activation de sa directive et le Conseil fédéral a suivi le 4 mars. Nous n’aurions pas pu être plus rapides.

Je dois dire que je suis très contente que nos prédécesseurs, notamment le conseiller fédéral Arnold Koller à l’époque, aient tiré les leçons de la guerre en ex-Yougoslavie. Ce statut S est entré en vigueur en 1999, donnant la possibilité à la Suisse d’accueillir de façon collective des victimes de violences et de guerre sans devoir faire une procédure d’asile. Rendez-vous compte si on avait dû faire des procédures d’asile pour près de 62'000 personnes ! Le système aurait été bouché, ça n’aurait pas fonctionné. [Avec le statut S], il y a une vérification des personnes ainsi qu’un contrôle de sécurité notamment, mais il n’y a pas de procédure d’asile complète. En recevant le statut S, les personnes sont accueillies de façon temporaire, orientée vers leur retour dans leur pays. C’est grâce à ce statut S initié il y a longtemps en Suisse, que notre pays a eu la même possibilité que l’Union européenne d’accueillir des réfugiés ukrainiens.

Aujourd’hui, le feu de l’action étant passé, si l’on peut dire, l’on se tourne vers l’avenir. Comment sont préparés les retours de ceux qui souhaiteront repartir en Ukraine lorsque la situation le permettra ?

J’ai déjà donné le mandat au Secrétariat d’Etat aux migrations de planifier ces éventuels retours et de prévoir des scénarios. Il y a des questions logistiques, juridiques. Imaginons une femme dont les enfants sont désormais scolarisés en Suisse et qui a trouvé un travail : elle pourrait évoquer un cas de rigueur pour rester dans notre pays. C’est très compliqué et il faudra évaluer ces questions.

Il faut dire que les autres Etats n’en sont pas encore là. En marge d’une nouvelle réunion informelle des ministres de l’intérieur des Etats Schengen à Prague au mois de juillet, j’ai discuté avec la commissaire européenne aux affaires intérieures Ylva Johansson de la nécessité de préparer dès maintenant le retour au pays des Ukrainiens qui ont fui la guerre. Il faut s’occuper de la question dès maintenant.

Cela ne veut pas dire que nous voulons mettre dehors les réfugiés ukrainiens, mais nous voulons faciliter les retours volontaires. Je ne pense pas que nous pourrons agir seuls en la matière. Même si la situation s’est calmée dans l’ouest de l’Ukraine, les combats sont encore très intenses dans le Donbass et dans la région d’Odessa. Leur intensité est certes réduite, mais il y a encore des attaques et des bombardements.

A Prague, j’ai aussi rencontré le ministre de l’Intérieur ukrainien qui disait souhaiter le retour des Ukrainiens, c’est intéressant. Parmi les neuf millions de réfugiés, il y a de nombreuses personnes formées et dont le pays a besoin pour sa reconstruction. Mais le ministre explique d’autre part ne pas pouvoir assurer la sécurité des enfants dans les écoles, car il n’existe pas d’abris de protection.

A Prague, j’ai aussi rencontré le ministre de l’Intérieur ukrainien qui disait souhaiter le retour des Ukrainiens, c’est intéressant. Les neuf millions de réfugiés comprennent des gens formés et dont le pays a besoin pour sa reconstruction. Mais si le ministre craint de voir son pays vidé, il explique d’autre part ne pas pouvoir assurer la sécurité des enfants dans les écoles, car il n’existe pas d’abris de protection. Dans certaines régions, les enfants peuvent être envoyés à l’école en journée, mais en cas d’alerte, il n’y a aucun abri pour les protéger. La criminalité augmentant par ailleurs, aucune sécurité intérieure n’est garantie pour la population interne non plus.

Il faut préciser qu’on compte un enfant ukrainien sur deux déplacés internes, estimés à six millions de personnes au total. Un enfant sur deux ! Or, ces personnes vivent aujourd’hui dans des villes de 40 à 50 000 habitants qui sont tout à coup passées à 100 ou 150 000 habitants et qui ne sont pas en mesure de protéger et d’assurer un niveau de vie à peu près normal pour les déplacés internes. Je ne comprends pas pourquoi la communauté internationale n’investit pas dans la construction d’abris pour la population et pour les écoliers afin d’encourager le retour des personnes qui le souhaitent.

La Suisse pourrait-elle jouer un rôle de leader dans la construction de cet avenir ?

Il s’agira d’une question de coordination. Il faudra que le sujet soit traité au niveau européen même si je comprends le point de vue des pays qui ne veulent pas donner l’impression de vouloir se débarrasser des Ukrainiens. C’est aussi le jeu auquel voulait jouer Poutine : diviser l’Europe sur la question de la migration. La solidarité est présente aujourd’hui, mais est-elle acquise, va-t-elle durer ?

Nous devons en parler avec mes collègues européens, je le fais, et j’espère que mon collègue [français] Gérald Darmanin viendra bientôt en Suisse ainsi qu’il l’a promis. La France et l’Allemagne vont aussi jouer un rôle important [dans la construction de l’avenir de l’Ukraine], mais il ne faut tenir compte des peurs et réticences politiques de donner un mauvais signal.

Il faut véritablement défendre les libertés : l’écrire une fois dans un programme politique ne suffit pas.

Lors de votre discours du 1er Août que vous avez tenu au Moléson, vous avez cité [l’intellectuel français] Raymond Aron qui, en 1969, disait : « Je crois que les valeurs auxquelles je suis profondément attaché, comme les valeurs de liberté, sont toujours précaires, toujours menacées, qu’il n’y a pas de régime parfait. […] Je crois que tout est toujours en question, que tout est toujours à sauver. Que rien n’est définitivement acquis, et qu’il n’y aura jamais de repos sur la terre pour les hommes de bonne volonté. » Pourquoi avez-vous choisi ce passage ?

Je ne sais pas si tout le monde le sait, mais j’ai étudié au Québec, à Montréal, en sciences politiques, à la faculté [ndlr : poursuit-elle avec l’accent québecois] de l’Université de Montréal, pour être claire [rires]. En sciences politiques, il a alors fallu lire tous les livres de Raymond Aron. Je suis, ou j’étais, une fille de Suisse orientale de pure souche, alors Raymond Aron… Ce n’était pas vraiment quelqu’un que nous connaissions chez nous, je l’ai découvert au Québec.

Ce qu’il dit est vrai. Nous le savons, nous qui avons des convictions libérales, qu’il faut sans cesse se battre pour la liberté. Celle-ci est toujours en danger, menacée, précaire. Certains par exemple, pas loin d’ici, veulent aller jusqu’à interdire la consommation de viande. Je suis certes végétarienne, mais cette mentalité de vouloir éduquer voire façonner les citoyens selon un modèle idéologique va à l’encontre de la vision libérale.

La liberté est toujours victime d’attaques, que celles-ci viennent de la gauche ou de la droite. La liberté doit continuellement être défendue, car elle n’est pas acquise. Nous le savons, c’est un long combat, en Suisse également, et nous pouvons à ce titre citer [le cinquantième anniversaire] du droit de vote féminin [célébré l’année passée]. Il faut véritablement défendre les libertés : l’écrire une fois dans un programme politique ne suffit pas. C’est ça aussi la force du PLR, c’est sa mission, sa conviction depuis la fondation de notre Etat en 1848.

Chacun a donc son rôle à jouer pour défendre la liberté, pas seulement les autorités politiques, mais chaque individu aussi ?

Oui, bien sûr. Pendant la pandémie par exemple, l’Etat a beaucoup aidé. Il était en mesure de le faire, grâce à ses épargnes, par le biais du frein à la dépense notamment. Nous étions aussi en mesure de soutenir les PME et les particuliers en détresse ou se trouvant dans une situation financière délicate.

Mais à l’heure actuelle, la tendance générale est de se reposer sur l’Etat. Regardez la discussion relative à une possible pénurie d’énergie l’hiver prochain : on parle déjà des dédommagements possibles que l’Etat devrait donner aux particuliers et entreprises en cas de coupures d’électricité. C’est tout à fait faux, ce n’est pas une pensée libérale ! Il est nécessaire de s’interroger sur ce qu’il est possible de faire pour assurer l’approvisionnement énergétique et de dire à l’Etat de mettre tout en mesure pour garantir cette sécurité.

La mentalité actuelle est mauvaise. L’Etat doit être fort là où il a vraiment des tâches fondamentales à remplir, mais ce n’est pas à l’Etat d’éduquer les citoyens.

Depuis votre entrée en fonction en 2019, vous avez mené neuf votations fédérales en plus de votre engagement pour Frontex que vous avez mentionné tout à l’heure. Tout cela s’ajoute à votre travail quotidien ; comment gérez-vous les choses ?

C’est assez simple, il faut se lever le matin et travailler, en prenant une chose après l’autre. Il faut s’organiser, être efficace, travailler. J’ai été éduquée ainsi. C’est vrai que le DFJP implique une grande charge de travail : j’ai fait passer le cap du Parlement à cinquante projets depuis le début de mon mandat jusqu’à la dernière session de printemps, ce n’est pas mal. Cela veut dire que j’étais beaucoup en commission, ce qui est très intéressant.

J’ai beaucoup appris aussi. Les neuf ou dix votations, si l’on compte ou non celle liée à Frontex et dont Ueli Maurer était responsable, ont été très enrichissantes. Enfin, tout ne l’était pas, mais le contact avec les gens, les discussions l’ont été. J’ai vécu de tout : des campagnes très vives avec des échanges avec les citoyens, mais aussi la période de pandémie de Covid-19 avec zéro, vraiment zéro manifestation.

Vous l’avez dit, les campagnes sont l’occasion de rencontres, de débats, sentez-vous une évolution dans le climat des campagnes, un durcissement peut-être ?

Oui et non. Peut-être que certains d’entre vous se rappellent la campagne de 1992 sur l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE). C’était très difficile. J’avais 28 ans, je venais d’être élue au Conseil communal [de Wil], j’étais traitée de traître parce que j’étais en faveur de l’EEE. Le climat était empoisonné. Par la suite, je n’ai plus tellement vécu ça, jusqu’à la votation sur les multinationales qui a marqué un tournant. La campagne a été très agressive et le résultat très serré, négatif à la majorité des Cantons. C’était très dur.

Ce que je constate, et c’est le cas aujourd’hui encore avec Alain Berset, c’est que lorsqu’un conseiller fédéral ne dit pas ce que veulent entendre ses adversaires, ses propos sont qualifiés de mensongers. Nous ne sommes pas tous obligés d’être d’accord les uns avec les autres, il peut y avoir des avis et des interprétions différentes, Philippe Bauer et moi, par exemple, ne sommes pas toujours sur la même ligne en commission, mais je ne vais jamais lui dire qu’il ment simplement parce qu’il ne partage pas mon avis !

Ce climat s’exprime surtout sur les réseaux sociaux où les interactions se font avec une certaine distance. Accuser face à face son interlocuteur de mentir, c’est autre chose. Il y a une certaine lâcheté dans l’anonymat [induit par les réseaux sociaux], la perte d’un respect.

Peut-on dire que c’est le fait d’une minorité qui parle plus fort et plus violemment que les autres parce qu’elle est cachée ?

Oui. En période de campagne, nous avons tendance à ne voir que ces voix négatives. Il faut faire un pas en arrière et se rendre compte que la majorité des gens est différente. Les Suisses ont l’habitude du combat politique ouvert : référendum, initiative landsgemeinde en Suisse orientale. Le respect mutuel fait partie de notre culture politique. Les valeurs libérales et de liberté doivent être défendues dans ce cadre-là également, parce que finalement, on défend ainsi une culture politique et nos institutions en rappelant que les combats sont nécessaires, à condition qu’ils aient lieu dans le respect mutuel. Il faut minoriser la minorité.

Cette période m’a aussi marquée parce que la région vivait à l’époque une crise économique. En Suisse orientale, [...] quand on disait chez nous qu’on était au chômage pendant deux ans, trois ans, on était traité de paresseux qui ne voulait pas travailler. Alors qu’ici, il s’agissait d’une question structurelle.

Je vous propose de passer à des questions plus personnelles, en lien avec Neuchâtel. On le sait, vous avez un lien particulier avec notre ville puisque vous y avez vécu trois ans et demi entre 1979 et 1983. Au-delà du plus beau français du monde, qu’avez-vous gardé de cette époque ?

Plein de souvenirs ! Lorsque je suis arrivée aujourd’hui et que j’ai débarqué sur la Place Pury… Tous les coins de cette ville racontent des histoires. Je dois dire que j’ai peut-être plus de souvenirs du bord du lac que des leçons d’économie politique à l’Ecole supérieure de commerce, je l’avoue. J’ai peut-être aussi plus d’expertise sur la Fête des Vendanges que les cours de droit. Mais c’était une époque fantastique. Ce qui était très drôle, c’est que mes parents, chez qui je rentrais les week-ends – pas tous, car mon copain de l’époque habitait à Colombier, donc j’allais chez lui aussi -, mes parents donc me disaient le week-end de rentrer au plus tard à 22 heures le soir. Alors qu’ils n’avaient aucun contrôle pendant la semaine, je faisais ce que je voulais !

La ville de Neuchâtel m’inspirait beaucoup. J’étais aussi membre du Cercle, pas celui-ci, mais celui des travailleurs, pas pour des sympathies politiques, mais…

Pour les fins de soirées ?

Eh bien, c’était ouvert jusqu’à six heures du matin [rires] ! On pouvait encore manger et boire là-bas, c’était bien.

Cette période de ma vie m’a aussi marquée parce que la région vivait à l’époque une crise économique. Le père de mon petit copain, un ingénieur, était au chômage. En Suisse orientale, il y avait aussi le choc pétrolier, mais ce n’était pas à ce point-là, il n’y avait pas ce déclin de l’industrie horlogère qui a coûté beaucoup de places de travail, et donc quand on disait chez nous qu’on était au chômage pendant deux ans, trois ans, on était traité de paresseux qui ne voulait pas travailler. Alors qu’ici c’était une question structurelle. Je me rappelle les magasins et vitrines vides du centre-ville.

Beaucoup plus tard, quand je suis revenue à l’occasion de certains événements, j’ai constaté le développement de la région et de l’industrie horlogère qui a repris ses forces et on peut être fier du parcours neuchâtelois.

Dans un échange publié par le quotidien Arcinfo, vous disiez que c’est à Neuchâtel que vous avez appris, à un âge crucial, la liberté, l’une des deux valeurs fondamentales chères à notre parti. Peut-on dire que c’est à Neuchâtel qu’est née la flamme libérale-radicale ?

Oui, on peut le dire en partie. A l’époque, j’étais un peu à gauche, mon père s’en inquiétait d’ailleurs, car je viens d’un milieu catholique conservateur. C’est plus tard que j’ai adhéré au PLR, un parti que j’ai découvert ici.

A Neuchâtel, j’ai appris à connaître la liberté dans le sens que si je pouvais mener une vie assez libre, je devais aussi assumer mes propres responsabilités : j’étais seule ici, je n’avais pas mes parents et ce n’était pas facile, à l’âge de 16-17 ans, de me rendre aux cours et de passer mes examens tout en profitant par ailleurs d’une certaine liberté, sans contrôle.

Quel était à l’époque votre événement neuchâtelois préféré, et maintenant ?

A l’époque, c’était la Fête des Vendanges ! Maintenant, tout ce qui m’amène ici est important. J’ai par exemple été invitée par le Conseil d’Etat quand j’ai été élue au Conseil fédéral, c’était une belle réception. Je viens toujours ici avec beaucoup de plaisir.

Quel était et est aujourd’hui votre lieu préféré à Neuchâtel ?

Le très beau bord du lac. J’y ai beaucoup de souvenirs.

Attention, question plus embêtante : plutôt saucisson neuchâtelois ou St Galler Bratwurst ?

Je suis végétarienne ! Alors c’est match nul !

 

Sous les rires et les applaudissements de l’assemblée, c’est ainsi que se conclut l’échange entre la conseillère fédérale et le président du parti cantonal, lundi soir au Cercle National, à Neuchâtel.

Avant de donner la parole à l’assemblée, dont les questions ont tourné autour de l’avenir des Hautes écoles suisses, de la neutralité et prochaines votations, Fabio Bongiovanni, au nom de la présidence du PLRN a remis quelques présents à la cheffe du Département de justice et police : une sélection de crus neuchâtelois,  une boîte de chocolats et, « pour rendre plus évident encore le lien entre Neuchâtel et les valeurs de liberté et de responsabilité qui forgent [son] engagement politique », Karin Keller-Sutter a été nommée membre d’honneur du Parti libéral-radical neuchâtelois, une première dans l’histoire du parti. 

 

Propos retranscrits par Anthea Estoppey, journaliste, rédactrice en chef de Libertés neuchâteloises